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La bourse ou les cookies : le scandale des cookie walls

6 juin 2021 – François Besson
Date de mise à jour : 3 juillet 2024

Peut-on obliger les internautes à payer pour supprimer les cookies ? Cette semaine encore, Twitter s’enflamme ! Le Groupe Webedia qui possède notamment les sites AlloCiné, jeuxvideo.com et 750g rend désormais payant la consultation des sites sans cookies. Même chose pour les sites Marmiton et AuFeminin.com, déjà connus pour leurs (trop) nombreux bandeaux publicitaires. En refusant les cookies, l’internaute fait face à un « cookie wall »une fenêtre blanche sur fond grisé qui bloque invariablement l’internaute sur ce message : 

La publicité ciblée pourrait-elle devenir un frein à l’acquisition de trafic ? Les cookie walls sont-ils seulement légaux ? Que pensent les internautes de cet ultimatum ?

Rappel sur les cookies

Un cookie est un petit traceur de connexion déposé par un site internet sur le terminal (ordinateur, portable…) de ses internautes. Il conserve certaines informations tout au long de la navigation afin de savoir par exemple quelles pages ont été consultées, quels articles vont être commandés ou pour sauvegarder votre mot de passe entre deux sessions sur un site.

Certains cookies sont essentiels au bon fonctionnement d’un site, tandis que d’autres, les cookies tiers* et internes ont une visée publicitaire : enregistrer le parcours d’un internaute pour lui proposer des publicités ciblées, plus rentables pour les sites web.

Faut-il accepter les cookies pour accéder gratuitement aux contenus ?

Il serait légitime de penser, pour les internautes, que céder leurs données pour financer les sites internet pourrait leur donner accès à des contenus riches et passionnants.

Accepter les cookies offrira à l’internaute un plaisir sans cesse renouvelé, celui de voir son écran envahi de publicités et vidéos comme sur le site Marmiton. Même après avoir accepté tous les cookies, l’internaute n’a aucune contrepartie. Il peut lire le site, comme avant, avec toujours autant de publicités.

Concéder de transmettre ses données publicitaires n’améliore en rien l’expérience utilisateur. Les publicités sont toujours aussi nombreuses, souvent jugées comme envahissantes. Parfois même, elles sont carrément bloquantes : pensons à tous ces cuisiniers qui doivent, les doigts pleins de farine, fermer une à une les fenêtres pop-up qui apparaissent devant leur recette. 

Certaines publicités pop-up ou vidéos ralentissent l’expérience utilisateur, avec des sauts de ligne inopportuns et des temps de chargement plus longs. Accepter les cookies d’un cookie wall n’est donc pas forcément très avantageux pour l’utilisateur, ni pour le site. 

D’un point de vue SEO, forcer la main aux internautes pour accepter des cookies perçus comme indésirables pourrait logiquement avoir un impact négatif sur le taux de rebondL’expression cookie wall n’a rien d’anodin. Comme un mur, le cookie wall constitue une barrière dès l’arrivée d’un utilisateur sur sa page de destination. Il pourrait bien dissuader les nouveaux utilisateurs de poursuivre leur navigation ou lasser une audience pourtant fidélisée. 

Pourquoi Allocine, Jeuvideo.com et Marmiton ont-ils rendu les cookies obligatoires sur leurs sites

Les différents types de cookies internet

Les cookies sont par définition des traceurs qui suivent le comportement des internautes.  

  • Certains cookies sont nécessaires et fonctionnels : lorsque vous naviguez sur un site e-commerce, le site doit enregistrer quels articles vous souhaitez commander pour les regrouper dans un panier.  
  • Il existe également des cookies statistiques qui suivent les actions des internautes (anonymisées) sur un site web pour améliorer l’UX. Les données sont alors remontées de façon anonyme mais informent le webmaster sur les liens les plus cliqués, par exemple. Les cookies statistiques sont au cœur des missions d’un expert en Webanalytics. 

Pour les cookies fonctionnels et statistiques, le consentement de l’utilisateur n’est pas nécessaire. Il le devient lorsque ses données personnelles sont utilisées, ce qui intéresse tout particulièrement les sites ayant mis en place des cookie walls. 

 

Les cookies qui sont soumis au consentement des internautes sont les suivants : 

  • Les cookies internes ou « first-party » pour les anglophones sont déposés par le site lui-même lors de sa consultation. Ils vont permettre au site de recueillir des données personnelles, suivre le comportement de chaque utilisateur et lui proposer des publicités personnalisées en fonction des pages que la personne consulte. Plus le ciblage est précis, plus une campagne publicitaire sera rentable. Les cookies internes sont donc un enjeu financier important pour les sites financés par la publicité.
  • Les cookies tiers ou « third-party » pour les anglophones, sont déposés sur le site par une régie publicitaire partenaire afin de suivre et collecter des informations personnelles (âge, sexe, origine, centres d’intérêt en fonction du temps passé sur chaque page ou vidéo) sur chaque visiteur du site. Ce sont les cookies les plus controversés. Ils sont dans le viseur de la CNIL et des instances de protection des données personnelles comme l’application du RGPD. 

Le modèle économique de Marmiton, CDiscount et Webedia

Puisque ce bad buzz était prévisible, alors pourquoi les sites sous le feu de la critique ont-ils pris le risque de forcer les internautes à accepter à la fois la pub et la revente de leurs données personnelles via les cookies tiers ?

Comme l’indiquait Christophe Duhamel, le co-fondateur et directeur de Marmiton dans une interview en 2014 :

« Les premiers revenus sont arrivés fin 2000, lorsque nous avons dû créer une structure juridique pour financer l’hébergement. Ces revenus provenaient de la publicité. »

Les grands sites reconnus ayant opté pour les cookie walls ont tous une audience très large, développée au fil des années. Ils ont donc fait un pari : capitaliser sur leurs visiteurs les plus fidèles quitte à perdre les internautes de passage, moins rentables.

Business is business, mais ce choix était-il vraiment le plus judicieux ? Perdre des internautes ne va-t-il pas, à terme, dégrader leur référencement web au profit de sites moins intrusifs ?

Pour l’instant, la critique est sans appel. Les internautes se renseignent pour porter plainte auprès de la CNIL et rivalisent de remarques assassines :

Avec un chiffre officiel de 31 millions de visiteurs uniques par mois sur l’ensemble de leurs sites, le groupe Webedia peut se targuer d’une audience suffisamment large pour accepter de perdre quelques visiteurs en contrepartie d’un gain de rentabilité sur son audience plus fidèle. Ce groupe d’édition de sites et de médias en ligne possède en effet quelques incontournables du web: JeuxVideo.com, 750g, PureMédias, AlloCiné, Millenium et TerraFemina, pour ne citer qu’eux.

La perte des revenus liés à la publicité “classique” des visiteurs refusant le cookie wall compensera-t-elle les gains de rentabilité de la publicité ciblée ?

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Mais du coup, les cookies, c’est légal ou pas ?

Le 19 juin 2020, le Conseil d’État a estimé que la CNIL ne pouvait pas interdire aux sites de bloquer les utilisateurs qui ne donneraient pas leur consentement (les fameux cookie walls) ou refuseraient de payer un abonnement (les pay walls).

Mieux acceptés que les cookie walls, les pay walls souvent utilisés par les médias en ligne pour remplacer l’abonnement papier. Le média réserve alors une majorité d’articles aux abonnés comme sur le site LeMonde.fr, Elle, L’Equipe ou LeFigaro par exemple.

Comme indiqué sur son site, la CNIL est toutefois libre de déterminer « au cas par cas si le consentement des personnes est libre et si un cookie wall est licite ou non » en fonction des alternatives proposées par l’éditeur du site.
Lorsqu’un internaute refuse les cookies non-nécessaires (ceux qui collectent et revendent ses données personnelles non anonymisées), il devrait avoir accès à des alternatives équitables.

En décembre 2019, les sites CDiscount, AlloCiné et VanityFair avaient déjà fait l’objet d’une plainte auprès de la CNIL pour « violation de de la législation européenne sur la protection des données ». Le centre européen pour la défense des droits numériques (NYOB) avait alors découvert que de nombreux internautes ayant refusé les cookies tiers étaient tout de même trackés par ces mêmes cookies. Leurs données personnelles étaient revendues à des régies publicitaires sous de faux consentements. À l’heure actuelle, l’affaire suit toujours son cours pour une amende maximale encourue de 4% du chiffre d’affaires.

Une éventuelle sanction sur cette affaire des faux consentements ou envers les sites dotés de cookie walls trop restrictifs pourrait bien faire jurisprudence. Pour l’instant, personne ne saurait définir les limites entre une alternative équitable ou abusive. La définition de la CNIL est trop imprécise pour statuer au cas par cas. Ce nouveau bad buzz pourrait bien pousser les législateurs à faire évoluer le RGPD et durcir la loi en matière de protection des données.

Suite à ces dérives, l’Union Européenne prévoit un nouveau règlement : le règlement e-Privacy. Bientôt, les consentements forcés de type “la bourse ou les cookies” (= les fameux cookie walls) seront purement et simplement interdits. Le Comité Européen de Protection des Données considère même que les utilisateurs devraient pouvoir facilement refuser toute collecte de données, ce qui rejoint les indications de la CNIL.

En effet, la CNIL l’indique sur son site : il doit être aussi facile pour un internaute de cliquer sur “Accepter tous les cookies” que de “Refuser tous les cookies”. Les 2 boutons de choix doivent être inscrits au même niveau et au même format du bandereau. Tous les sites où il faut actuellement “Paramétrer ses choix” pour refuser les cookies devront donc bientôt se mettre en conformité.

Publicité en ligne, à la recherche de nouveaux business models

Naviguer en zone grise ne semble pas être une stratégie viable, à terme, pour un site non-marchand. Cette situation bien particulière a toutefois le mérite d’ouvrir de nouvelles perspectives : si la publicité non-ciblée n’est plus suffisamment rentable pour les grands médias en ligne, comment les business model de sites plus modestes pourront-ils se réinventer ?

Plutôt que de mettre en place un cookie wall, Le Figaro investit actuellement plusieurs millions d’euros pour renforcer son paywall, l’accès payant – sous abonnement – aux articles Premium.

Pour comprendre cette stratégie, on peut donc émettre 2 théories :

  1. Les internautes sont prêts à payer pour du contenu de qualité ou lorsqu’ils ont développé un affect, une fidélité pour un média. Auquel cas il faudra prouver que son contenu vaut le coût d’être lu et reste indépendant des régies publicitaires (exit les publireportages).
  2. Les internautes ont mis en place de nouvelles stratégies pour contourner les cookies publicitaires. Auquel cas, mieux vaut se pencher dès maintenant vers de nouveaux business model plus pérennes, mais lesquels ?

Affaire à suivre…

Conséquences juridiques du non-respect du consentement des internautes

Les dernières sanctions de la CNIL précisent les risques encourus par les agences et sites internet qui ne respecteraient pas le consentement des internautes en matière de cookies et de RGPD.

50 000€ d’amende pour le site web d’actualités lefigaro.fr pour 2 faits établis en 2020 et 2021 : dépôt de cookies publicitaires avant même de recevoir l’approbation des internautes et non-respect du refus des cookies

400 000€ d’amende pour la société Monsanto pour manquement à l’obligation d’information des personnes. Un fichier destiné au lobbying recueillait en effet des informations personnelles de 200 personnalités politiques et civiles sans en informer les principaux concernés, donc sans possibilité de faire valoir leur droit à l’opposition.

746 millions d’euros d’amende pour Amazon Europe Core pour non-respect de la législation sur les cookies. Ce montant sans précédent prononcé, non pas par la CNIL mais par l’autorité luxembourgeoise CNPD, est notamment lié à l’historique de la société. En effet, Amazon avait déjà été épinglée à deux reprises pour ce même motif.

10 millions d’euros d’amende pour Yahoo! en 2024 pour ne pas avoir permis aux utilisateurs de sa messagerie « Yahoo! Mail » de librement retirer leur consentement aux cookies. Les cookies étaient déposés sur le terminal des internautes, même sans leur accord. De plus, Yahoo.com menaçait les utilisateurs qui refusaient de consentir au tracking publicitaire de ne plus pouvoir accéder aux services de messagerie, sans pour autant leur offrir d’alternative.

À ce jour, on le rappelle, la meilleure manière d’éviter une mise en demeure reste de rendre aussi facile aux internautes de refuser les cookies publicitaires que de les accepter.

Responsable éditorial et content manager au sein de l’agence éditoriale Noiise de Lyon depuis 2017, je mets ma plume et mes idées au service des clients de tous les horizons et de projets éditoriaux variés. Curieux et à l’affût des dernières tendances, j’aime découvrir et partager mes trouvailles avec les visiteurs de notre centre de ressources !